Prochain chapitre pour la Fed : une baisse de taux qui n’est pas banale

La Réserve fédérale américaine (la « Fed ») a réduit, sans grande surprise, les taux d’intérêt de 25 points de base (pb), mais Frances Donald, économiste en chef et chef de la stratégie macroéconomique, explique pourquoi cette décision concernant les taux d’intérêt prise mercredi est beaucoup plus significative qu’elle peut paraître.

La vaste majorité de la couverture médiatique et des commentaires portant sur le marché constatés jusqu’à maintenant ont porté sur les faits entourant la décision prise par la Fed mercredi, soit le montant de la baisse de taux d’intérêt et la réaction des marchés qui en a découlé. Les faits (le « quoi ») étaient relativement simples :

• Les taux d’intérêt ont été réduits de 25 pb.
• La réduction du bilan de la Fed, appelée « resserrement quantitatif », prend maintenant fin en date du 1er août, soit deux mois plus tôt que prévu. C’est logique : pourquoi se montrer conciliant d’un côté et ferme de l’autre?
• Le taux d’intérêt que les banques reçoivent pour engranger leur réserve excédentaire à la banque centrale a été coupé de 25 pb, passant de 2,35 % à 2,10 %.

Cependant, nous sommes d’avis que le « pourquoi », soit le motif derrière la décision de la Fed, a beaucoup plus d’importance. Malheureusement, il est aussi plus difficile à cerner. Officiellement, la déclaration de la Réserve laisse entendre que la décision d’abaisser les taux est plutôt large, et attribue

cette dernière aux « conséquences du développement mondial sur les perspectives économiques ainsi qu’aux pressions inflationnistes atténuées ». Malgré cela, pendant la conférence de presse de mercredi dernier, le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, a continué de mettre l’accent sur le fait que son scénario de référence pour l’économie est « positif » et qu’il comprend une expansion économique soutenue1. Dans ce cas, pourquoi la baisse? Nous pensons que la Fed se soucie beaucoup plus de l’inflation et des prévisions d’inflation que ne le laisse entendre officiellement sa déclaration, et que sa volonté d’exercer une pression sur les prix est la principale motivation derrière la baisse de taux d’intérêt annoncée mercredi – et d’ailleurs, derrière toute réduction de taux à venir.

Il est probable que les investisseurs aient entendu deux principaux discours justifiant la décision de la Fed de s’engager sur la voie des réductions de taux. Le premier discours, soutenu par un groupe d’observateurs du marché qui appartiennent à ce que nous nommons le camp du « cycle d’assouplissement », suggère que cela pourrait marquer le début d’un cycle d’assouplissement typique de la Réserve fédérale, semblable à la plupart de ceux que nous avons vus au cours des trente dernières années. Les cycles d’assouplissement donnent généralement lieu à des réductions de taux totalisant environ 500 pb, en moyenne, et sont normalement entamés en réponse à une économie qui est déjà en récession ou qui est sur le point de l’être. Dans le contexte actuel, un cycle d’assouplissement classique sous-entendrait que le Federal Open Market Committee (FOMC) abaissera les taux pour les établir à 0 % (ou moins), et que le taux des obligations américaines à 10 ans tombera également à 0 %, ce qui nuira probablement aux actifs risqués.

Il est vrai qu’après la conférence de presse de mercredi, où le ton était étonnamment ferme, cette éventualité semble moins probable… du moins pour le moment.

Le deuxième, prôné par ceux faisant partie du camp des « baisses préventives », semble indiquer que ces baisses – qui correspondent habituellement une réduction de taux totale de 75 pb effectuée en une ou deux étapes – vise à compenser la faiblesse cyclique à court terme de la croissance américaine, dans ce cas-ci, à cause de frictions commerciales et d’une faible activité manufacturière mondiale. La Fed a adopté une approche similaire (à deux reprises) dans les années 1990 : d’abord une première fois notoire en 1995 puis à nouveau en 1998.

L’insistance du président de la Fed, M. Powell, lors de la conférence de presse de mercredi à l’effet que l’institution met en œuvre un ajustement de mi-cycle2 donne raison au camp des « baisses préventives » plutôt qu’à celui du « cycle d’assouplissement », et les marchés semblent larguer une part importante de la prime générée par le cycle s’assouplissement présumé. insurance cuts camp versus the easing cycle camp, and markets appear to be unwinding a good deal of their easing cycle pricing.

Nous croyons que le discours doit être approfondi. Selon nous, la Réserve fédérale adopte possiblement une approche inspirée des baisses préventives qu’elle n’a jamais tentée auparavant, et que nous nommons la « baisse reflationniste ». Ce type de réductions n’a pas comme principal objectif de

soutenir la croissance à court terme (bien qu’il s’agisse d’une retombée intéressante, surtout dans un contexte caractérisé par une incertitude élevée) ni de contrer le risque de récession.

Elles sont plutôt utilisées pour produire un dépassement inflationniste structurel et rallumer des prévisions d’inflation continuellement faibles qui se sont éloignées de 2 %. Si c’est bien le cas, en tentant explicitement d’induire une inflation supérieure à 2 %, le FOMC favorisera probablement à la surchauffe de l’économie américaine.

La différence la plus importante entre une baisse préventive classique et notre théorie de baisses reflationnistes est que le ton conciliant de la banque centrale ne cesse pas lorsque la croissance reprend de la vitesse; il cesse plutôt lorsque l’inflation a été constamment supérieure à 2 %. Cela implique a) que la Fed devrait cesser d’intervenir après avoir effectué des réductions pendant une période prolongée, soit plus longtemps qu’elle ne l’aurait fait dans un contexte de baisses préventives, et b) que les actifs risqués pourraient bénéficier d’une baisse des taux d’intérêt et d’une croissance plus forte.

Le point principal à retenir de la conférence de presse de mercredi est qu’elle a renforcé notre conviction que la Fed tente de manœuvrer une stabilisation économique (et peut-être une reprise subséquente). Autrement dit, nous croyons que la réduction de taux d’intérêt annoncée mercredi est en fait un « ajustement de mi-cycle »2 visant à stimuler l’inflation. Cette conclusion est conforme à notre vision des marchés à très court terme selon laquelle :

• les actifs risqués pourront continuer de dégager des rendements modérés, puisque ces réductions favoriseront une prolongation du cycle économique;
• nous n’observerons pas de modification des taux importante au début de la courbe de rendement parce que, selon nous, des baisses de taux d’intérêt allant de 50 à 75 pb suivies d’une longue pause sont conformes à une approche visant deux ou trois baisses reflationnistes.

En fin de compte, peu importe le camp auquel nous appartenons, l’issue est claire : la Fed annoncera au moins une autre réduction de taux, probablement en septembre, et le cycle de reprise observé entre 2016 et 2018 est maintenant terminé.

1 Federal Reserve issues FOMC Statement, federalreserve.gov, 31 juillet 2019. 2. Conférence de presse du Federal Open Market Committee (FOMC), federalreserve.gov, 31 juillet 2019.