Protéger les désignations de bénéficiaire – développements récents

Idées et actualités

Désignations de bénéficiaire et planification successorale

La plupart des conseillers sont conscients de l’importance des désignations de bénéficiaire lorsqu’ils aident leurs clients à établir leurs objectifs en matière de planification financière et successorale. Les désignations de bénéficiaire peuvent être utilisées pour les comptes enregistrés et les produits d’assurance, y compris les contrats de fonds distincts. Les avantages de la désignation de bénéficiaire sont bien connus; elles ont été utilisées pour contourner la succession, réduire les frais d’administration successorale et d’homologation1, et remettre rapidement le produit de la succession aux bénéficiaires.

Cependant, de récentes contestations judiciaires soulevées devant les tribunaux canadiens2 pourraient remettre en question le fait que les bénéficiaires désignés au titre de ces désignations pourraient détenir ce produit dans une fiducie au profit de la succession du titulaire de contrat décédé. Cet article présente un résumé de la jurisprudence ainsi que des conseils pour vous aider à protéger les intentions de vos clients.

Bref historique de la présomption de fiducie résultoire

Dans l’affaire Pecore c. Pecore,la Cour suprême du Canada a statué sur la décision d’un parent d’ajouter comme cotitulaire un enfant adulte à un compte bancaire. Le tribunal a conclu que, généralement, lorsqu’il y a un transfert à titre gratuit d’une partie à une autre, il y a présomption que le destinataire détient ces fonds dans une fiducie résultoire au profit du cédant (ou de sa succession s’il est décédé).4 Une présomption différente s’applique aux transferts d’un parent à un enfant mineur.5 De plus, dans la plupart des provinces, les transferts à titre gratuit entre conjoints feront également l’objet d’une présomption de fiducie résultoire.6

Lorsque la présomption de fiducie résultoire s’applique, il incombe au cessionnaire (dans l’affaire Pecore, l’enfant adulte) de fournir la preuve que le parent voulait que le transfert soit un don. Le cessionnaire doit réfuter cette présomption selon la prépondérance des probabilités.

Les preuves requises pour réfuter la présomption de fiducie résultoire différeront d’un cas à l’autre. En ce qui concerne le compte bancaire conjoint dans cette affaire, la Cour a fait remarquer certains types de preuves que le cessionnaire pourrait utiliser pour prouver l’intention du cédant de donner le produit du compte conjoint à l’enfant adulte :

  • une preuve de l’intention du parent cessionnaire au moment où le transfert a eu lieu ou vers cette date;
  • une preuve après le transfert;7
  • les documents bancaires (tout ce qui démontre l’intention du cédant sur les formulaires bancaires);
  • le contrôle et l’utilisation des fonds du compte conjoint;8
  • l’existence d’une procuration;9
  • le traitement fiscal du compte conjoint.10

Si la preuve n’est pas suffisante pour réfuter la présomption de fiducie résultoire, le cessionnaire détiendra le produit du compte conjoint au profit de la succession du défunt, qui sera distribué conformément au testament de ce dernier (ou en vertu de la législation sur les successions non testamentaires de la province en l’absence d’un testament valide). Ce produit est ainsi assujetti au processus d’homologation et aux frais d’homologation applicables.

Présomption de fiducie résultoire et désignations de bénéficiaire

L’affaire Pecore portait sur la présomption de fiducie résultoire pour les dons entre vifs (p. ex., comptes bancaires). Mais qu’en est-il des comptes ayant des désignations de bénéficiaire qui prévoient le transfert au bénéficiaire au décès du titulaire? La jurisprudence récente dans plusieurs provinces laisse entendre que ces comptes pourraient également faire l’objet d’une présomption de fiducie résultoire en cas de contestation judiciaire. Cela impose un fardeau supplémentaire au cessionnaire (le bénéficiaire désigné) pour prouver que le cédant (le défunt) avait l’intention de donner le produit de ces comptes uniquement au profit du cessionnaire.

En Colombie-Britannique, il a été présumé que les désignations de bénéficiaire dont le bénéficiaire désigné est un adulte étaient détenues dans une fiducie résultoire en faveur de la succession du défunt,11 conformément à la jurisprudence du Manitoba.12 En Alberta, une décision de la Cour du Banc de la Reine en 2015 laissait entendre que la présomption de fiducie résultoire s’appliquait aux désignations de bénéficiaire,13 tandis qu’en Saskatchewan, la Cour d’appel a statué que la présomption de fiducie résultoire ne s’appliquait pas aux désignations de bénéficiaire.14

Plus récemment, dans l’affaire Calmusky c. Calmusky,15 en Ontario, le tribunal a appliqué la présomption de fiducie résultoire non seulement à un compte bancaire conjoint détenu par un enfant adulte et son parent, mais aussi à la désignation de bénéficiaire en faveur de cet enfant en ce qui concerne le fonds enregistré de revenu de retraite (FERR) du parent – FERR non établi par un assureur. Dans le cas de l’Ontario, il s’agit d’une nouvelle application élargie des principes dans l’affaire Pecore, ce qui est conforme à certaines des autres provinces mentionnées ci-dessus. Le tribunal est particulièrement préoccupé par le fait qu’il n’y a « aucune position de principe pour appliquer la présomption de fiducie résultoire au transfert à titre gratuit de comptes bancaires en dénominations communes, mais sans appliquer la même présomption à la désignation de bénéficiaire d’un FRR ».16 Bien que de nombreux professionnels en droit successoral ne soient pas d’accord avec ce point de vue et que les organismes du secteur aient déjà commencé à exercer des pressions en faveur d’une loi précisant que la présomption de fiducie résultoire ne s’applique pas aux désignations de bénéficiaire, à moins que la loi ne soit modifiée pour offrir une protection supplémentaire à ces désignations ou que la Cour suprême du Canada ne rende une décision, l’approche actuelle adoptée par les tribunaux est celle qui doit être planifiée.

N’oubliez pas que la présomption ne porte que sur la personne qui a le fardeau de la preuve pour démontrer l’intention du cédant/défunt. Si la présomption de fiducie résultoire s’applique, il incombe au bénéficiaire désigné de démontrer que le produit était un don à son propre avantage et non à celui de la succession.

Même s’il y a incohérence quant à la question de savoir s’il y a présomption ou non, les tribunaux canadiens ont toujours le pouvoir d’imposer des recours équitables, comme les fiducies résultoire ou constructoire, qui pourrait donner lieu à une désignation de bénéficiaire au profit de la succession du défunt et non du bénéficiaire désigné.

Les conseillers doivent donc être conscients de la possibilité qu’une désignation de bénéficiaire puisse faire l’objet d’une contestation devant les tribunaux et aider leurs clients à se préparer à cette éventualité.

Qu’est-ce que les conseillers peuvent faire pour protéger les désignations de bénéficiaire de leurs clients?

Tout d’abord, les conseillers doivent expliquer clairement le but de la désignation de bénéficiaire à leur client ou à leur titulaire de contrat et s’assurer que l’intention du client est de destiner le produit uniquement au bénéficiaire désigné. De plus, les conseillers doivent expliquer les conséquences fiscales de la réception du produit par un bénéficiaire désigné et de la possibilité pour la succession de se soustraire à l’impôt exigible.

Deuxièmement, les conseillers peuvent recommander au client de préparer une lettre d’intention, au moment où la désignation de bénéficiaire est effectuée ou vers cette date, qui explique pourquoi il a fait cette désignation et pourquoi il a l’intention que le produit soit versé à ce bénéficiaire désigné. Entre autres choses, la lettre d’intention devrait préciser qu’il n’y a pas fiducie résultoire et que le véritable intérêt bénéficiaire du produit est destiné à être transmis au bénéficiaire désigné à l’extérieur de la succession. Pour obtenir une protection supplémentaire, la lettre d’intention doit être signée par des témoins, idéalement par deux adultes, qui ne doivent pas être le bénéficiaire désigné ni le conjoint de ce dernier. De plus, ces suggestions devraient s’appliquer à chaque désignation de bénéficiaire et non à toutes les désignations de bénéficiaire. Idéalement, la lettre d’intention précisera également que le client a pris en considération l’obligation fiscale découlant du transfert effectué à son décès.17

Comme il n’existe pas de règle absolue en ce qui concerne les lettres d’intention et leur contenu, les conseillers devraient recommander aux clients de préparer toute lettre d’intention avec l’aide d’un conseiller juridique ayant une expérience en planification successorale; autrement, les clients pourraient déclencher des conséquences imprévues.18 L’importance d’une lettre d’intention dépendra du risque associé à la désignation. Par exemple, une désignation qui ne favorise qu’un seul enfant et qui risque de déshériter les autres enfants, ou qui s’écarte des stipulations de nature résiduelle du titulaire de contrat, risque probablement d’entraîner une contestation judiciaire et nécessitera des mécanismes de protection plus rigoureux.

Troisièmement, les conseillers peuvent recommander au client ou au titulaire de contrat d’avoir des discussions simultanées avec les membres de sa famille et les autres bénéficiaires de la succession au sujet de l’existence et du but de la désignation de bénéficiaire et du plan successoral en général, puisque ces discussions pourraient servir de preuve corroborante de l’intention.

Enfin, les notes des conseillers découlant de la rencontre avec le client au cours de laquelle le bénéficiaire est désigné pourraient également servir de preuve corroborante de l’intention du client dans le cadre d’une procédure judiciaire. Les conseillers devraient préparer des notes détaillées de ces rencontres et indiquer la raison de la désignation du client ainsi que les parties qui étaient présentes et qui ont participé à la discussion.

Ces étapes sont particulièrement importantes, puisqu’un formulaire de désignation de bénéficiaire pourrait ne pas suffire à démontrer l’intention du client ou du titulaire de contrat. Dans l’affaire Calmusky, la Cour a jugé que le formulaire de désignation de bénéficiaire n’était pas suffisamment détaillé pour fournir une preuve fiable de l’intention du titulaire de contrat. De même, le représentant financier avait des souvenirs négligeables de sa rencontre avec le titulaire de contrat. Si le représentant financier avait tenu des notes détaillées, ainsi que d’autres éléments comme ceux décrits ci-dessus, qui auraient pu fournir une preuve suffisante corroborant l’intention du titulaire de contrat, il aurait pu réfuter la présomption de fiducie résultoire en découlant.

Résumé

La jurisprudence entourant l’application de la présomption de fiducie résultoire aux désignations de bénéficiaire évolue et fera probablement l’objet d’autres discussions devant les tribunaux. Les conseillers peuvent aider leurs clients à se préparer aux éventuelles contestations judiciaires de leurs désignations de bénéficiaire et prendre des mesures pour atténuer le risque que les intentions de leurs clients soient contestées devant les tribunaux.

Le présent bulletin est à jour au moment de sa rédaction, mais n’est pas actualisé lorsque des changements sont apportés aux dispositions législatives, à moins d’indication contraire.

1 Au Québec, le processus de vérification et les frais associés (lesquels sont minimes) ne s’appliquent qu’aux testaments non notariés. À l’exception du Québec, qui est fondé sur un système de droit civil. 3 Pecore c. Pecore, 2007 CSC 17. 4 Pecore, aux paragraphes 23 à 24. 5 La présomption d’avancement, c’est-à-dire qu’il est présumé que le transfert était un don. 6 Auparavant, la présomption d’avancement s’appliquait aux transferts à titre gratuit entre les maris et leur épouse. Toutefois, en raison des changements apportés au cours des dernières décennies à la législation sur les biens matrimoniaux de la plupart des provinces, cette présomption a peu d’effet, voire aucun, dans la majorité des cas. 7 P. ex., la preuve d’un avocat rédigeant un testament, après l’ouverture du compte conjoint, quant à l’intention du parent de verser le produit du compte exclusivement à cet enfant. 8 P. ex., l’enfant utilisait-il les fonds dans le compte conjoint à son propre avantage ou seulement à celui de son parent? 9 P. ex., en plus de la propriété conjointe, l’enfant disposait-il d’un pouvoir en vertu d’une procuration sur les comptes du parent? 10 P. ex., l’enfant ou le parent a-t-il déclaré l’impôt annuel exigible sur le compte? Le parent a-t-il déclaré une disposition imposable au moment du transfert? 11 Voir l’affaire Neufeld c. Neufeld, 2004 BCSC 25. Voir aussi les affaires Rainsford c. Gregoire, 2008 BCSC 310, Slade Estate (Re), 2017 BCSC 2354, et Williams c. Williams Estate, 2018 BCSC 711. 12 Voir l’affaire Dreger c. Dreger, [1994] 10 WWR 293 (Man. CA). 13 Voir l’affaire Morrison Estate (Re), 2015 ABQB 769. 14 Voir l’affaireNelson v. Little Estate, 2005 SKCA 120. La Cour a établi une distinction entre les comptes conjoints et les désignations de bénéficiaire, lorsque la présomption de fiducie résultoire s’applique. L’affaire 15 Calmusky c. Calmusky, 2020 ONSC 1506. 16 Ibid., au paragraphe 56.

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