Dix questions au sujet de la théorie monétaire moderne

La théorie monétaire moderne (TMM) est l’un des sujets qui ont le plus retenu l’attention ces derniers temps dans les cercles économiques, mais ce concept est difficile à saisir. Nous répondons ci-après aux dix questions fondamentales que quelqu’un moins familier avec cette théorie économique, qui suscite un débat très intense, pourrait avoir.

Qu’est-ce que la théorie monétaire moderne?

Réduite à sa plus simple expression, la théorie monétaire moderne (TMM) est une école de pensée économique dont la prémisse centrale est la suivante : les gouvernements qui impriment leur propre monnaie ne peuvent jamais, par définition, manquer d’argent. Les tenants de la TMM font, valoir qu’au lieu de tendre chaque année vers l’équilibre budgétaire (en appariant les dépenses et les recettes fiscales et les autres revenus), les gouvernements devraient viser une économie de plein emploi. Pour ce faire, ils pourraient dépenser et, ainsi, créer des emplois même si cela se traduisait par des déficits budgétaires persistants puisque ceux-ci pourraient être financés par l’impression d’autres billets.

Par contre, le fait d’imprimer de l’argent ne cause-t-il pas de l’inflation?

Oui et non. La création de monnaie en soi ne cause pas de l’inflation; après tout, les gouvernements y ont constamment recours. Cependant, lorsqu’une surabondance de monnaie s’allie à des pénuries de biens, de main-d’œuvre ou de capacités de production dans le système, de l’inflation peut en résulter. Au fond, c’est une question d’offre et de demande : une surabondance de monnaie dans le système et des ressources inutilisées insuffisantes sur le marché du travail pour absorber cet excédent, ou encore une pénurie de biens à acheter avec tout cet argent provoqueront de l’inflation ou même sa vilaine cousine, de l’hyperinflation.

Un pays ne peut pas dépenser indéfiniment … n’est-ce pas?

Non! La TMM ne postule pas que les gouvernements peuvent dépenser sans limites. L’essentiel, c’est que les gouvernements cessent impérativement de dépenser lorsque le plein emploi est atteint. Une fois ce niveau atteint, un surcroît de dépenses pourrait faire basculer l’économie vers un point où l‘inflation commencerait à augmenter.

Quel est le lien entre la TMM et le revenu universel de base?

Le revenu universel de base consisterait en un paiement accordé à chaque citoyen, qu’il travaille ou non. La TMM, quant à elle, préconise plutôt la garantie d’emploi. Plus précisément, selon cette théorie, toute personne qui ne peut trouver un emploi dans le secteur privé en obtiendrait un dans le secteur public. Les tenants de la TMM estiment que des politiques telles que le revenu universel de base ne sont pas souhaitables et offrent des solutions moins bonnes que la garantie d’emploi.

Le chômage serait-il inexistant selon la TMM?

La TMM fait valoir que la fonction de la politique budgétaire consiste à assurer que les dépenses de programmes dans l’économie sont suffisantes pour que la production se maintienne à des niveaux auxquels toutes les personnes qui veulent un emploi ont la faculté d’en obtenir un. Autrement dit, les gouvernements devraient utiliser leur capacité budgétaire pour combler les lacunes laissées par le secteur privé. Bien sûr, il y aurait toujours des gens sans travail pour des raisons frictionnelles comme, par exemple, le décalage entre la cessation d’un emploi et l’obtention d’un autre emploi ou entre l’arrivée sur le marché du travail et l’obtention d’un emploi, mais les politiques fondées sur la TMM garantiraient qu’aucune personne désireuse de travailler ne soit au chômage à long terme.

Si les gouvernements pouvaient dépenser autant qu’ils le voulaient comme le postule la TMM, est-ce que l’impôt sur le revenu disparaîtrait?

Les gouvernements prélèvent des impôts pour deux principales raisons : financer leurs programmes de dépenses et retirer de l’argent de l’économie. D’après la TMM, les gouvernements ne prélèveraient des impôts que pour le deuxième motif, leur but étant de gérer la demande globale et de l’harmoniser en permanence avec l’offre de ressources pour que l’inflation ne dérape pas. En d’autres termes, dans des conditions de chômage presque nul et de risque de croissance de l’inflation, le gouvernement augmenterait les impôts pour retirer de l’argent du système financier et maintenir un équilibre général.

La TMM ne contredit-elle pas des centaines d’années de théorie économique?

Non, mais il est vrai que la TMM va à l’encontre de la théorie économique néolibérale. Le néolibéralisme préconise un rôle nettement plus discret de l’État dans l’économie (p. ex., une fiscalité minimale, des barrières commerciales et une réglementation), car il privilégie le marché libre. Ce paradigme s’est imposé au cours des 40 dernières années environ (Margaret Thatcher et Ronald Reagan ont instauré des politiques néolibérales pendant leurs mandats), mais nous pensons que les façons de voir commencent à évoluer.

Pourquoi la TMM est-elle soudain si populaire?

La TMM n’est pas un concept moderne, mais elle suscite un regain d’intérêt en raison du mécontentement grandissant des populations à l’égard de l’état actuel des choses. Les inégalités (mesurées, p. ex., par l’indice de Gini1) s’accentuent constamment dans certains des pays les plus développés, en particulier dans certaines des plus grandes économies comme les États-Unis et la Chine, ce qui amène certains à remettre en question la viabilité de notre système économique. Au-delà de l’aspect social, la TMM gagne en popularité, car  la faiblesse des taux d’intérêt, les programmes de dépenses colossaux mis en place pendant la crise financière mondiale de 2007-2008 et la pandémie de COVID-19 n’ont pas entraîné la poussée inflationniste que l’économie traditionnelle aurait prédit. Des personnalités politiques influentes aux États-Unis ont même évoqué l’idée d’appliquer cette théorie, ce qui a propulsé la TMM à l’avant-plan.

Graphique linéaire illustrant l’évolution de l’indice de GINI des inégalités de 1986 à 2016 aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Italie et en Chine. Les inégalités s’accentuent constamment dans tous les pays, en particulier en Chine.

Cette théorie est-elle vraiment utilisée?

Aucun gouvernement n’a adopté la TMM en tant que politique officielle, mais on peut dire que certains de ses éléments sont déjà présents dans notre économie. Pendant la crise financière mondiale de 2007-2008, par exemple, en entrevue à l’émission 60 Minutes sur les ondes de CBS, l’ancien président de la Réserve fédérale des États-Unis, Ben Bernanke, a déclaré que la Fed avait imprimé de la monnaie pour financer les dépenses gouvernementales :

B. Bernanke : « Donc, pour prêter à une banque, il nous suffit de majorer par voie électronique le compte qu’elle détient auprès de la Fed. Cela s’apparente beaucoup plus à l’impression de monnaie qu’à un emprunt. »
60 Minutes : « Vous imprimez de la monnaie? »
B. Bernanke : « Eh bien, oui, effectivement. Et nous devons le faire parce que notre économie est très faible et l’inflation est très basse. »

En effet, les États-Unis ont accumulé des déficits pendant des années, soit au cours de 46 des 50 dernières années financières, et ce, sans inflation galopante (exception faite de la période d’inflation du milieu/fin des années 1970, qui est considérée avoir été causée par d’autres facteurs externes). Par conséquent, il devient de plus en plus difficile de prétendre que les déficits responsables sont dangereux. Cela dit, bien que les États-Unis monétisent leur dette, ce n’est pas explicitement pour remédier à la sous-utilisation de la main-d’œuvre. Donc, nous ne considérerions pas que cela relève de la TMM.

Graphique linéaire et diagramme à barres combinés illustrant l’inflation et les soldes budgétaires aux États-Unis depuis 1954. Malgré l’alourdissement des déficits budgétaires, l’inflation n’a jamais dépassé 14 %.

Si la TMM est si brillante, pourquoi les gouvernements n’en font-ils pas une politique?

Il faut savoir que les économies n’ont pas toutes les capacités nécessaires pour mettre en œuvre la TMM, car cela exige le respect de certains critères.. En effet, le pays doit émettre sa propre monnaie et la laisser flotter librement et, deuxièmement, il ne peut pas emprunter dans d’autres devises. Même pour les pays qui répondent à ces exigences, la TMM nécessite qu’il y ait des institutions d’une fiabilité et d’une crédibilité rigoureuses, ayant la discipline politique requise pour fermer les robinets des dépenses budgétaires lorsque l’inflation est trop élevée (bien que cela soit aussi le cas, de toute manière, dans le système économique actuel). Le principal obstacle à l’instauration de la TMM est peut-être d’ordre politique. Il y a une énorme résistance politique à l’idée du plein emploi, car cela signifierait l’élimination des bas salaires et des investissements très modestes dans la formation et les compétences et, en général, se traduirait selon toute probabilité par le transfert de la richesse et du pouvoir. En bref, la TMM est une philosophie économique qui devra jouer le jeu politique avant de devenir une politique officielle.

1 « L’indice de Gini mesure l’ampleur de l’écart entre la distribution des revenus (ou, dans certains cas, des dépenses de consommation) parmi les particuliers ou les ménages d’une économie et une distribution parfaitement égale. » [Traduction] (https://data.worldbank.org/indicator/SI.POV.GINI)

1 Extrait de la Banque mondiale : « L’indice de GINI mesure l’ampleur de l’écart entre la distribution des revenus (ou, dans certains cas, des dépenses de consommation) parmi les particuliers ou les ménages d’une économie et une distribution parfaitement égale. » [Traduction] (https://data.worldbank.org/indicator/SI.POV.GINI)

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Sue Trinh

Sue Trinh, 

Ancienne Co-Chef, Stratégie macroéconomique, Asie, équipe Solutions multiactifs

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